(belly) ante up

Un choc frontal: voilà d’où venait la nébuleuse sur le visage de Jane Osborn. Le journal des étudiants appèlerait ça la rencontre des titans, elle aurait préféré que le protège-coude de Howard  ne rentre pas en collision avec sa tête mais il était sur le banc depuis le début de la saison et elle n’avait pas eu le coeur à rejeter ses passes, aussi brutales soient-elles. Au moins c’est lui qui avait fini par planter sa crosse dans les cages, pas elle. Elle se souvient de la tête du coach au dessus de la sienne quand elle s’était écrasée sur la pelouse trempée et de son coup de sifflet phénoménal, mais pas de son visage quand elle avait été rafistolée dans les gradins et honnêtement c’était mieux comme ça. Elle préférait avoir la tête dans des pintes. « On aurait porté mon cadavre en fait. » Billy rigole un peu trop fort et se retient de pleurer de douleur, ses yeux luisent d'on ne sait pas trop quoi, d’euphorie, d’ivresse ou d’agonie, elle s’arrête et jure à Felix qu’elle ne sortira pas sans avoir épuisé les stocks du pub mais son monde commence à balancer de gauche à droite elle lève une main en l’air pour s’accorder un répit avant de demander un supplément. « Mais j’m’en fiche on les a ECRASES. » Ses joues tirent à force de parler fort mais elle ferait tout pour oublier l’odeur de l'antiseptique et sa peur de plus jamais ressembler à quelque chose. « EH TU BOIS PAS? »

Billy était pas un personnage plein de couleurs. Enfin si elle devait se décrire, elle se peignait à moitié en gris, parce qu’elle attachait son passé sur ses bras et ses jambes, comme le font beaucoup de personnes. Elle dirait que même si elle a l’air d’avoir beaucoup de choses à dire au fond elle passe la moitié du temps à se taire, et l’étoile toute décousue qui tombe du plateau du ciel, c’est un peu elle, quand elle est à moitié là, à moitié en train de fuir les lumières de Brown, les bruits du quartier, quand elle regarde le dos de Felix et sa tête qui dodeline parce qu’il ne sait pas trop où l’emmener mais il l’embarque quand même. Elle se cache, les deux mains sur les yeux et le rire qui s’envole comme une fusée à travers le dédale de gens occupés à se vider la tête avec des Guinness, elle écarte les doigts pour voir Felix, elle a seize ans quelques secondes, entre temps son nez la lance, elle grimace, elle lui dit: « C’est mon côté warrior c’est ça? » Et puis son regard semble s’attarder sur les joues du garçon aux traits familiers, qu’elle retrouve souvent dans ses histoires mais qui semble bien trop tendre, trop accessible, et elle ne veut pas retenir une image fantasque, simplement Felix, parce qu’elle risque d’imaginer ses dessous terribles, ses tempêtes, son autre lui. Alors que pour l’instant il n’y a pas de raison de ne pas approcher de la bestiole. Sa décence lui soulève un peu le coeur, partager son rythme détonant la soulage, elle a l’impression de se trouver, dans ses regards qui appuient sur son visage ravagé. C’est rassurant.
Le monde tourne dans tous les sens, mais c’est pas grave. « …T’aimes bien sourire toi. Ça m’fait sourire aussi eh. »

Les soleils étaient dans ses joues. Enfin si une étoile morte avait pu se loger quelque part ç’aurait été entre sa poitrine et son crâne elle n’arrivait pas vraiment à situer, elle entendait Felix parler, ça la soulageait un peu mais ça continuait d’imploser à l’intérieur et elle n’osait pas dire quoique ce soit ou peut être qu’elle n’en avait pas l’intention parce qu’elle aimait le cocon qui se formait autour d’elle et du reste du monde, si ça se trouve elle était plus en sécurité ici qu’ailleurs…. Mais pourquoi est-ce-qu’elle serait en danger au final?

Son cerveau lui envoyait des signaux par moments, elle avait fait un tel roulé-boulé que le dénouement de la soirée n’était pas franchement ce qui lui importait le plus. « La couleur de la bière… c’est… beau. Mais Cesar péterait vraiment un câble s’il- » Billy lève les yeux, elle se souvient de la dernière phrase de Felix, s’excuse, sautille sur son tabouret, prend une gorgée. Y a rien de plus normal, oui c’est mieux d’être normal. Si y a comme un soleil dans le corps de Billy, si ça se trouve le soleil en question c’est Felix Glendower mais qu’est-ce-que Felix Glendower ferait à l’intérieur de Billy? « J’aime bien quand tu souris alors c’est pas grave. »

Elle pousse la pinte et la ramène vers elle, y a bien une partie de Billy qu’hésite mais l’autre veut avoir son âge et boire toute la nuit quitte à s’en faire vomir. Elle sent plus son visage, elle s’entend pas parler non plus, vaut mieux rire à partir de maintenant.

« Non, non! » Billy descend sa bière d’un coup d’un seul, le plafond tourne, elle touche son nez, couine, se redresse mais un défi c’est un défi elle peut pas se permettre de perdre. Y a des couleurs qui montent sur son cou et ses joues, parce qu’elle est pas vraiment responsable, elle est pas très droite ce soir, elle montre du doigt quand elle parle, elle fait des grands gestes avec ses mains pour donner plus de vie aux histoires qu’elle partage avec Felix, comme la fois où elle a reçu une crosse dans le bide et où on l’a littéralement plaquée au sol pour aller jusqu’au bout du terrain, elle se souvient des gens qui hurlaient dans les gradins parce que ça avait été le moment décisif du match et qu’elle avait fait perdre son équipe; Mais quand ses yeux retrouvent le garçon au rire fatal, ils sont à moitié remplis d’alcool, à moitié vides du reste, Billy lui a pas dit qu’elle tient pas l’alcool et pour elle.



C’est comme le reste c’est pas grave. Sa main est engourdie, le bout de ses doigts tape contre le bar à répétition à chaque fois qu’elle parle elle est extatique, un peu trop honnête pour plaire à qui que ce soit, elle remet pas ses cheveux derrière ses oreilles, elle lui dit qu’elle aimerait bien porter ses pulls de gentleman, elle dit tout; elle parle de son frère (encore), elle dit qu’elle l’aime bien mais que c’est son frère pour une raison, elle en rigole. « Attends- Attends tu veux savoir à quoi tu ressembles quand tu fais ça? Ton p’tit clin d’oeil là? » Billy pose son coude sur l’établi, elle se décale, dévisage Felix, elle reste là quelques secondes à l’embêter, lui faisant sa plus belle imitation.

Billy sent plus vraiment ses jambes ni le reste d’ailleurs, alors elle se dégage du tabouret, le bar bascule dans son champ de vision mais elle se reprend, jette un regard à gauche à droite, elle dit à Felix: « Faut que j’aille nettoyer un peu mon visage, j’arrive ok? »

« C’est un pub Felix Glendower, je risque pas grand chose! » Billy déambule jusqu’à une cage d’escalier, elle grimpe tellement haut qu’elle se dit que c’est l’Everest mais ensuite elle comprend que c’est l’alcool alors elle se reprend. Petite elle voulait être astronaute, maintenant elle comprend un peu mieux à quoi ça ressemble et elle s’esclaffe alors qu’un gars suant la bière passe près d’elle. Billy dit bonjour, même si les murs se déforment, elle entre et puis se précipite dans une cabine. « Vomis pas Jane Osborn ce serait une honte- pour le pays de Galles et pour…. les Osborn tout court oui. » Elle s’accroupit et inspire trois grands coups avant de ressortir intacte. 

Mais le miroir est une épreuve terrible, elle se met presque à paniquer quand elle voit les pets de couleurs sur son visage qui s’étalent en zones de dégâts comme sur les lieux d’un accident, elle pourrait mettre les preuves du massacre ici et là, si Billy était une scène de crime… « Tu fais quoi… Tu fais quoi? » Les filles sont pas belles quand elles se cassent le nez c’est bien connu. Non c’est la Guiness qui grimpe dans ton système à toute allure, c’est rien Billy, c’est rien. Elle aurait peut être dû écouter Cesar, elle le faisait d’habitude pourtant, c’était pas si difficile de respecter une seule règle, hein Billy. Y a personne, c’est qu’il doit être tard, elle se dit pendant qu’elle détache les compresses qui sont collées sur sa figure. « Eh- eh… J’suis vraiment pas- vraiment pas en état de bien aimer ce gars. » Les gens parlent souvent tout seuls pourquoi en faire toute histoire.

Quand elle s’écrase par terre elle sait que faut arrêter de chercher à défier les lois de la gravité, elle recule, sort son portable, elle cherche le numéro d’Ophélia, il est tout en haut. Puis y a Cesar. Felix est un peu plus loin, une petite distance, entre les noms, elle la franchit quand même. La sonnerie la fait sursauter, Billy se sent petite. « Allô- ah- Felix Glendower, ouais, j’suis dans les toilettes- Comment dire… »

Felix Glendower était un séisme. Il avait sûrement ravagé plusieurs planètes dans le sytème solaire de Jane Osborn, et les couleurs sur son visage se mélangeaient, elle savait qu’à ce stade c’était catastrophique, si elle se sentait de détailler les contours de sa figure avec les mains, l’endroit le plus sûr sur terre était devenu le plus hostile et au lieu de rire, elle s’occupait de rester à son niveau, et elle suivait les yeux du garçon en s’affolant de voir qu’elle connaissait leur couleur maintenant, même si son accent lui, commençait à se perdre entre les flots de rire et de fantasmes alcoolisés. « Hmmm, oui, ça va, ça va. » Elle était pas sûre de se souvenir du gars, peut-être qu’elle s’imaginait les fesses d’un autre à la place. Sans doute ses fesses à lui. Non.


Abort. The. Mission. C’est à ce moment précis que Jane Osborn se demanda pourquoi elle avait suivi sa main de là, pourquoi elle s’était approchée, histoire de la tenir, et de pas se perdre dans une foule qui existait pas, à part si la foule se composait de Chapin au timbre affolant avec beaucoup trop de choses à dire, sans doute des choses qui montaient à la tête comme l’alcool dans un système désorienté par la prise de médicaments. La nuit cacherait toutes les surfaces de galaxie qu’avaient décidé d’envahir son visage, alors elle avait hâte de s’y cacher, de prendre tout l’air de la rue pour qu’il englobe ses poumons, qu’elle prenne tout l’oxygène disponible, mais elle en laisserait à Felix Glendower quand même. 



C’était pas le genre de fille qu’écrivait les noms des garçons aux mains tièdes dans un coin de sa tête, elle aimait bien les regarder mais de loin c’était bien, elle aimait bien faire ça oui. « J’sais faire ton mouvement de sourcil aussi alors méfie-toi. » Elle commence à l’entraîner dans le dédale des rues et puis, elle se retourne et s’écarte quelques secondes.
Faut toujours regarder le ciel quand on commence à y voir le reflet dans les yeux d’un garçon. Elle baisse la tête Billy, elle touche les hématomes qui changent déjà de teinte près de ses joues, elle grimace, elle trouve Felix. Billy tend sa main. « C’est de quelle couleur? »