on se parle sans se disputer cette fois? ou pas? (billy)

Ophélia elle aura pas les joues rouges, si des mains se sont pas posées sur sa nuque avant et Ophélia, elle aura le sourire en vrac sans que vous le sachiez, derrière un téléphone mais jamais devant vous. Ophélia, elle a les mains toutes blanches, Ophélia, elle fait de son mieux. Et ça changera jamais, alors, quand elle dit qu’avec Isaiah, c’est terminé, alors c’est terminé. Pourtant Isaiah court à droite à gauche sur le campus, il est juste passé sur une autre playlist dans la tête d’Ophélia, ou alors, c’est une chanson qui se met en route et qu’elle écoute pas en entier, dans tous les cas, Isaiah n’est plus le prénom qu’Ophélia entend dans toutes les paroles de toutes les ballades, de tous les temps. Y a beaucoup de gens que ça terrorise la disparition progressive des souvenirs, mais peut-être bien qu’Ophélia, c’était son truc.

« Merde. » Billy regarde l’heure, Merryn est partie depuis belle lurette, les lumières du ciel commencent à se décomposer à travers un amas de nuages, la rouge se retourne dans son lit, elle a pas le courage d’allumer son portable aujourd’hui. Quand elle se noie de George Michael, c’est que y a plus beaucoup de solutions, elle voit son matos de lacrosse étalé par terre, ses doigts craquèlent les uns contre les autres, Billy reste là un moment, avant d’attraper des pompes et de se décider à faire des kilomètres et des kilomètres à pied. Ouais, peut-être que ça ira mieux, peut être que ça va passer, peut être qu’elle arrêtera de voir en boucle la vidéo de ses moindres faits et gestes dans sa tête.

Hey, you're just too funky for me
I gotta get inside of you
And I'll show you heaven if you let me
Hey you're just too funky for me
I gotta get inside, (I gotta get inside)
I gotta get inside of you (So when will that be?)
I watch you're fingers working overtime (Overtime)
I've got to thinking that they should be mine. Oh!
I'd love to see you naked baby
I'd like to think that sometime maybe
Tonight, if that's alright. Yeah!

La silhouette d’Isaiah se dégage dans son champ de vision, Billy s’occupe de dégager les écouteurs de ses cheveux, est-ce-qu’on cherche tous à s’épuiser aujourd’hui, c’est ça le but?
« Salut Isa, S.O.S. Fantômes! S.O.S. Fantômes! » Billy regarde autour, parce que ça lui fait bizarre de pas le voir bien entouré. « Ouais j’dis ça parce que, t’sais, on te voit pas souvent. »

Les gens faisaient des tas de trucs pour oublier, et parfois on se moquait d’eux, parce que ça avait pas de sens, mais voilà, que ce soit taper dans un mur, frapper dans un sac, hurler sans prévenir, casser des miroirs, chacun sa méthode; Le ballon d’Isaiah passait entre ses mains, il avait l’habitude, ça se voyait, et BIlly pouvait pas nier que sur le terrain, on se vidait littéralement de tout; des énergies, des émotions, de ce qui bloquait au fond de la gorge, Billy elle savait que c’était une bonne technique, ce qui la chagrinait c’était de pas pouvoir distinguer les moments où elle profitait et ceux où elle essayait de fuir, à force, alors elle jonglait entre les deux. Parfois elle finissait avec le nez éclaté, c’était du cinquante-cinquante. « Ouais, j’ai pas été une amie en or. »

Elle attrape la balle, fait quelques dribbles, c’est dur en fait, plus technique que ça en a l’air, et ça doit bien défouler aussi. Ici personne parle, tout le monde joue, normalement, on devrait s’accorder un répit en dessous des cages, non? « Ça dépend, moi ça va, il m’arrive des trucs plutôt cool, c’est autour que c’est un peu merdique. » Billy sourit, mais un peu de travers, par défaut disons, vaut mieux pas faire plus de drame qu’il n’y en a déjà, mais vu leurs rapports personnels, elle sait que le nom de Billie, Ophélia ou Hendrix risque de sortir du tas.

Le ballon finit entre les mains de Billy comme un témoin qui dit; ça y est tu peux parler, tu peux tout dévoiler. Quand elle lève les yeux sur Isaiah Ngosi pourtant, Billy elle voit pas l’incendie qui se prépare, elle voit pas non plus le mégot de cigarette qu’a atterri sur une vieille page de magasine dans l’entrepôt, y a rien qui dit que dans le coeur de plusieurs hommes, une grenade va se dégoupiller et menacer de tout faire exploser. Enfin, elle se souvient de la bouteille de tequila d’Ophélia, bouteille qui finit entre les mains d’un gosse hors d’usage, oui ça elle se rappelle, elle lui a dit qu’elle comptait plus boire, est-ce-que Billy doit commencer par ça? Non, c’est rare, la plupart des fois où on dit vraiment ce qu’on pense c’est à force de fatigue, de colère, d’impulsion.

Et Ophélia la laisserait pas démanteler le groupe terroriste dans son coeur en face d’Isaiah Ngosi, ça elle le sait. « J’pense que t’avais tes raisons, j’pense qu’on les a toujours, d’ailleurs. » Elle s’écarte pour lui faire quelques passes, elle sait pas si elle a l’esprit de compétition aujourd’hui, mais au départ elle devait pas interrompre le cours des choses, sauf qu’elle sait que l'équation parfaite de Brown va de travers, qu’à un moment ça devait dévier. « Je sais pas, je vais mieux disons, j’ai moins envie de faire exploser la moitié de la surface du globe. » Elle utilise l’image de l’apocalypse, comme une vanne pour parler de son caractère de merde, peut être que ça a l’air drôle mais c’est assez représentatif de son état. « Eh, je sais pas, entre- » Elle hésite, sauf qu’elle se dit aussi que les données de sauvegarde des gens sont là pour une raison, qu’Isaiah se fout pas totalement de la gueule d’Ophélia au final. « Entre Ophé qui pète des câbles et les Osborn qui sont en train de voler en éclats, je sais pas. J’arrive pas à dire, j’arrive même pas à me réjouir de voir qu’Ophélia rentre plus torchée depuis quelques temps. Elle m'parle plus vraiment, je crois.  »

On aimait pas se défaire de son humanité, disons que c’était décrocher le portrait du mur, c’était défier le modèle établi de qui on était, pourquoi on était, bref, ça plaisait pas. D’ailleurs le bout des doigts de Billy piquait quand elle disait un mensonge, elle avait remarqué, c’était physiologique, à ce qu’il parait comme l’excitation qui fait éternuer, le professur lui avait expliqué ça. Isaiah il a des tics nerveux que Billy ne peut pas lire parce qu’elle n’est pas experte en découpage de visages et options de sentiments, mais elle attrape le ballon, elle s’agite pour faire suer son front et sa morale, car plus elle en dit plus elle l’implique, et plus elle se tait, plus elle se perd dans une nouvelle composition - elle n’aime pas. -

Billy inspire et part dans l’autre sens, vers le panier le plus à l’ombre. Quelle l’heure il est, elle est plus sûre, ça fait combien de temps qu’elle court pour pas revenir à ses pensées, seule? « Je sais pas trop, mais je crois que Stuart est de retour. Un d'nos frères, il était- ouais il était parti. »
Elle a tourné la tête, le soleil lui a frappé dans l’oeil, la Osborn a cligné des yeux, aveuglée pendant un instant. « Elle va pas mal, il y a des choses qui vont mal, mais- je crois pas qu’elle aille mal, elle. » Billy tire, d’un coup, et toute son adrénaline retombe, comme ça, elle regarde le ballon rebondir, elle l’attrape, elle s’arrête un instant, un pied venant, l’autre se posant, un poil tremblant, Billy elle est pas sûre. « Mais qu’est-ce-que j’en sais Isa, j’suis pas dans sa tête pas vrai? »

Le sol se dérobait pas encore sous ses pieds, alors Billy tenait pas à créer un de ces dialogues bouleversés, elle était sans doute pas dans le bon état d’esprit non plus pour se lancer dans une amitié à moitié recousue, ce serait comme mettre un pansement sur une vitre brisée, à quoi est-ce-que ça servirait sinon éveiller les foudres de sa jumelle? « Mais bon. » Le soleil vient embêter ses yeux, Billy recule pour se dégager des rayons, eux, ils essayent sans doute de la dissuader d’en dire plus, ou alors, de la ralentir, mais Billy elle a la moitié du visage couvert d’ombre maintenant. « J’te vois souvent, j’viens juste pas, d’ailleurs t’as l’air d’passer plus de temps ici que nulle part ailleurs. » Elle met une main contre son front pour dégager les mèches qui collent à sa peau luisante. Y a pas de secret, aimer courir, dribbler, sauter, s’épuiser, c’est une nature paradoxale, ça montre qu’on est plein de vie, et aussi plein de trucs en trop. 



Elle l’invite pas spécialement à vider son sac, non c’est pas une de ces prises d’otage sentimentales, Billy elle sait que y a eu beaucoup trop de silences accumulés pour qu’Ophélia soit la clef du mystère, elle pourrait ajouter les drames de Campbell, et ceux de Billie, en vrai, elle manque pas de paroles à ajouter, mais c’est pas comme ça que ça marche, quand on est pas tout à fait amis. « J’tiens juste à dire que- J’laisse pas Ophé seule et qu’elle peut pas vraiment m’échapper. » Elle rigole doucement, Billy, mais elle a jamais été plus sérieuse.