Red Queen (Serena)

Invité

Red Queen

L'Ultra était la boîte à la mode de Providence, et comme tous les lieux trop populaires, Miranda la fuyait comme la peste. Elle passait souvent devant, et un samedi soir, la demi-douzaine de cocktails qu'elle avait siroté plus tôt dans la soirée jouant probablement un rôle, elle tenta l'expérience. Juste pour voir, pensa-t-elle. Miranda s'incrusta dans la file d'attente, une espèce de grosse chenille face à un videur de 90 kilos pour deux mètres de haut.
Elle enfouit son nez dans un foulard de soie puis s'alluma une clope pour échapper à des effluves de transpiration, d'urine ou d'alcool qui s'échappait d'un quelconque coin de la rue. Elle attacha ses cheveux rouges et roses en chignon et attendit patiemment.

La plupart des fêtards dans la file d'attente se firent dégager par le videur. Trop jeunes, trop bourrés, pas assez bien sapés. Peu importe, Miranda entra sans problèmes. Tout ses sens furent heurtés par le lieu. La musique, mauvaise et trop forte, l'odeur, l'humidité, les lumières. Elle s'était juré de tenir au moins quarante-cinq minutes à l'intérieur mais elle voulait déjà prendre ses jambes à ses pieds, rentrer chez elle et lancer un vinyle de The Clash en fumant une clope à la fenêtre pour laver la souillure.

Elle reconnut plusieurs personnes. Si elle était fermée aux autres, Miranda restait incroyablement observatrice, elle n'oubliait jamais un visage, elle n'oubliait jamais un nom. Des gens partageaient des cours avec elle, ou étaient dans sa confrérie, mais elle préféra tracer sa route jusqu'au bar en évitant un lourdaud qui cherchait à la faire valser sur de la mauvaise électro.

Accoudée au bar, Miranda reconnu un autre visage. Elle passait régulièrement à la bibliothèque de l'université pour ses recherches mais n'y restait jamais longtemps. Juste le temps d'emprunter les livres qui l'intéressent pour les lire chez elle. Elle avait déjà aperçu la jeune femme là-bas. La physicienne commanda, criant à moitié pour se faire entendre, un Red Queen. Oubliant un instant qu'elle était perdue bien loin de ses bars à cocktails new-yorkais, le regard étonné du serveur ramena Miranda à la réalité et se ravisa en commandant un tout bête gin tonic.
Elle leva son verre en direction de la fille de la bibliothèque et en bu un quart d'une traite.

lumos maxima

Tu t’étais laissée embarquer dans cette expérience. Tu avais décidé de suivre tes amis. Ils avaient dit que c’était bien de changer d’endroits, de voir d’autres mondes. Tu n’étais pas d’accord. Tu savais davantage que tu allais voir des gueules fières. Des gueules que tu aurais aimé insulter si tu n’étais pas dans une ambiance fêtarde. Tes amis n’avaient dit pas de conflit ce soir. Cela devait être une soirée reposante, une soirée à oublier les discriminations, les difficultés de la vie. Alors tu lâchais tes épaules et décidais d’enfiler une tenue légère. Tu te glissais dans la foule, te mélangeais à elle. Mais la musique ne te correspondait pas. Des tubes de l’année qu’ils disaient, des tubes à faire danser tout le monde. Tu t’ennuyais, tes pas ne suivaient pas. Tu voulais du jazz, tu voulais du r’n’b, du vrai, pas une sorte de remix effectué par des Justin Bieber. Tu secouais la tête, indiquant à tes amis que tu voulais te réfugier bar. Tu voyais qu’ils ne te regardaient déjà pas. Ils profitaient de leur soirée, et ça, ça pouvait déjà te faire du bien. Un whisky pur commandé, tu le sirotais. Tu ne regardais même plus les centaines et centaines de personnes, crier, danser, tenter de discuter avec toi. Seulement, un regard attira ton attention. Un visage particulier. Elle levait son verre en ta direction, buvant une bonne partie de la boisson. Tu fronçais les sourcils et balançait un « On se connaît ? ». Froid et dur tu n’étais pas prête à discuter. Tu voulais rentrer chez toi. Tu en avais suffisamment marre des gamines aux cheveux roses qui aimaient les licornes et qui prônaient la tolérance, alors qu’au fond, elles étaient straight cis as fuck. Si au début tu pensais te décaler d’une chaise vers elle afin de mieux vous entendre, tu préféras gueuler « Si c’est de la drague, je ne suis pas intéressée ». Tu finissais sur ces paroles, puis ton verre par la même occasion. Tu voulais juste rester dans ta bulle, attendre encore quelques heures, attendre que tes amis aient finit de s’amuser, attendre de leur faire plaisir. Parce que t’étais mauvaise à ça, à être gentille, et fallait bien que ce soir tu le sois. Sans regard pour l’inconnue, tu gardais tes yeux plongés dans le verre vide. Tu voudrais un nouveau verre. Tu voudrais ne pas finir bourrée. Tu ne savais pas tenir l’alcool. Tu buvais que trop peu. Mais tu sentais que tu allais en avoir besoin. Beaucoup. Ce soir allait être différent.

Invité

La jeune femme au bar lui renvoya un regard froid, ferme et dur.

- On se connait ?

Miranda réprima un sourire avant de répondre. Elle était amusée par tant de méfiance, de réserve. La plupart des gens croient que Miranda est, elle aussi, méfiante et réservée, alors que ce n'était qu'un peu de mystère que la jeune femme aux cheveux roses cultivait autour d'elle.
La bibliothécaire semblait encore moins à-l'aise que Miranda qui, elle, le cachait plutôt bien. Elle pensait avec un peu de nostalgie à New-York. Elle avait, finalement, pas grand-chose à Providence. Des meubles et son chien. C'est tout.

- Non, mais tu as l'air aussi paumée que moi.

Sa correspondante du bout du bar finit son whisky et lui posa un regard inquisiteur semblant l'analyser. De ses doc's noires à ses cheveux rouges et roses. Les yeux de l'autre semblèrent s'attarder sur la crinière couleur feu.

- Si c'est de la drague, ça m'intéresse pas.
- De la drague ? Je crois pas, mais tout est question de séduction de nos jours t'sais.

Miranda but un autre tiers du Gin Tonic avant de continuer.

- J'ai cru comprendre qu'on était là pour fêter. Peu importe quoi, mais faut faire la fête dans ce genre d'endroits.

Miranda soupira et finit son verre en fixant le plafond et les lumières stroboscopiques lui agressant la rétine. Serena avait le regard plongé dans son whisky, vide, évaporé dans l'air et dans ses entrailles. Miranda détacha sa crinière et sourit.

- T'en fait pas, si je te saoule, tu n'as qu'à en recommander un ou deux et tu m'aura oubliée demain matin.

Elle fit signe au barman de la resservir et Miranda replongea ses lèvres peinturées de rouges dans le cocktail sans couleur.

lumos maxima

Tu levais les yeux au ciel face aux propos de la jeune aux cheveux roses. Tu voyais bien au fur et à mesure que ce n’était pas une femme lourde, dénuée de sens. Pour autant, ton corps était braqué et tu ne semblais pas chercher à t’ouvrir à elle, non plus à rire. « Alors tu joues avec les mots ? » que tu répondais avec un sourire plus amusé cette fois-ci. « Donc tu ne me dragues pas, tu cherches à me séduire ? » tu complétais, commençant finalement à te prêter au jeu. Elle ne prenait pas la situation au sérieux, pour autant, elle avait ce dédain formel que tu appréciais. Un mixe de bons genres. « Pour ça que tu restes au bar à boire une sorte d’eau… » tu faisais une grimace. Tu n’avais jamais apprécié le Gin Tonic. Tu trouvais ça beaucoup trop doux. Tu appréciais les alcools beaucoup plus forts, avec lequel il n’y avait pas besoin de rajouter une rondelle de citron pour faire bonne appréciation. Ce genre d’alcool qu’il fallait déguster mais que tu buvais d’une traite. Parce que ce genre de soirée, ce n’était clairement pas pour toi. « Que proposes-tu alors pour faire la fête comme il se doit ? » tu demandais, presque réellement curieuse de connaître sa réponse. Ton corps s’ouvrait davantage, les épaules plus détendues, les jambes qui ne se croisaient plus, le buste qui se tournait vers elle. Tu étais prête à la discussion. Étrangement, l’inconnue t’amadouait facilement. De nouveaux verres arrivèrent sur la table. Les mêmes. Aucun mélange. Ne valait-il mieux pas. Tu trempais tes lèvres dans la boisson, sans pour autant la boire avec plus de rapidité que le dernier. « Tu veux que je t’oublie demain matin ? » et n’était-ce pas toi, là qui faisait du charme ? Tu t’observais d’un autre œil, toi-même surprise que tu puisses t’intéresser, rentrer dans un échange ambigu avec une inconnue à la chevelure extravagante. Tu ne regardais plus ton verre, encore moins la foule qui se collait. Tu dévisageais celle dont tu ne connaissais même pas le nom, ou alors tu l’avais déjà oublié. Celle qui avait réussi en quelques secondes à peine à faire tomber la lassitude de l’instant.

» fight for what you think is right (serena)