Quand seul l'alcool peut soulager les maux

O’Connell préférait ne pas faire allusion aux yeux rougis de son ami. Inutile de le mettre dans l’embarras. Après tout, à voir son état, il avait déjà compris qu’est-ce qui n’allait pas. Pas la peine d’être perspicace pour le savoir; il ne suffisait que d’être à l’écoute et un minimum à l’affût de ce qui passait dans la vie des autres Chapins. Or, il ne doutait pas une seconde sur les intentions qu’Hendrix avait en sortant ce soir. L’alcool, ça permettait d’oublier, de se sentir bien pendant le peu temps que ça durait. Éphémère, certes, mais c’était déjà ça. On pouvait tout faire ne serait-ce pour oublier cette douleur; peu importe laquelle. Les deux garçons s’installèrent à une table tranquille et pendant qu’Hendrix lui demandait s’il n’avait pas eu mieux à faire que d’être ici avec lui, Ben fit un signe à une serveuse pour commander. « Un pichet de bière et deux verres, s’il vous plaît. » Il lanca un sourire à la serveuse, question de dire merci, avant que cette dernière ne reparte chercher leur commande. « De quoi parles-tu? Je me suis mis sur mon 31 rien que dans l’espoir de te croiser, Hendrix. » Il lui sourit; ce n’était rien de méchant, uniquement une petite blague pour détendre l’atmosphère. « Rien de sérieux, t’en fais pas. Puis, les amis avant tout, pas vrai? Y aura d’autres soirées et ça me fait plaisir d’être là. » La serveuse revînt avec leur commande et remplie leurs deux pintes. O’Connell leva son verre et invita Hendrix à trinquer avant de prendre une gorgée. Il regardait son ami, cherchant à comprendre ce qui avait pu le mettre dans cet état. La raison, il la connaissait. Les détails, un peu moins. « C’est elle ? » Il ne rajouta rien, sachant que prononcer le nom de Billie pouvait lui être douloureux. Ah, cette charmante Billie… Benjamin connaissait que trop bien le charme de la demoiselle. Après tout, il s’agissait de son ex. Ils étaient restés bons amis et cela n’avait causé aucune histoire lorsqu’elle et Campell commencèrent à se fréquenter. Or, cela n’avait peut-être pas été aussi sérieux avec lui que ce ne l’était avec Hendrix, mais Ben était mieux placé que quiconque pour parler de Billie avec ce dernier. « Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Ah, l’amour! Quelle belle connerie que ça pouvait être parfois… À voir l’état d’Hendrix, Benjamin ne pouvait qu’être heureux de son célibat. Depuis Billie, il avait préféré flâner ici et là, volage; ne pas trop se casser la tête. Les femmes, ça pouvait parfois rendre le tout trop compliqué et il était trop occupé à s’amuser de toute façon pour gérer des émotions pareilles. O’Connell écoutait attentivement son ami lui expliquer la raison de son état. « Hum… Je vois. » Il prit une gorgée de sa pinte, ne sachant pas trop quoi rajouter à propos de la situation. Il n’était pas bien placer pour donner des conseils ou dicter les actes de Campbell. Ce n’était pas non plus son intention. Néanmoins, il était évident pour lui qu’Hendrix se torturait beaucoup trop. « Tu lui as promis pour elle ou pour toi ? » Curieux, Ben lui jeta un regard par-dessus la bière qu’il portait à ses lèvres. « Je veux dire… Lui as-tu demandé ce qu’elle voulait, elle, avant de promettre quoique ce soit ? » Le ton du garçon était calme, plutôt compatissant envers son ami. Aux premiers abords, tout ça était plutôt stupide. Ça sautait aux yeux que ces deux-là ressentaient toujours quelque chose l’un pour l’autre. Or ça ne pouvait pas se terminer comme ça uniquement parce qu'il y avait eu un peu souffrance. C'était ça la vie de couple, non? Ce n'était pas toujours rose bonbon comme dans les films... D'ailleurs, qu’avait-il fait pour la blesser à ce point selon lui pour se retirer de sa vie? « Écoute, je ne sais pas ce que tu as fais de si mal mais… Tout le monde fait des erreurs, OK? Je suis certain que ça peut s’arranger vous deux. » O’Connell remplit la pinte de son ami, puis fit de même avec la sienne. Il lui sourit, se voulant encourageant. « Si c’est elle qui t’a embrassé alors désolé de te dire ça, mais… ton plan chevaleresque de t’éloigner d’elle pour son bien, c’est vraiment le pire plan à la con que j'ai entendu de ma vie. Vous vous désirez encore l’un et l’autre, non? Quel est le problème? »  C’était sérieux, mais à la fois une taquinerie. Inutile de vexer son ami, mais il se devait tout de même d’être franc avec lui. Avec tout et le peu qu’il savait, c’était sa perception des choses. « Excuse-moi si j'ai tout faux. »

Benjamin ne pouvait faire autrement que d’essayer de comprendre son ami. Il l’écoutait attentivement se confier, appréciant la confiance qu’il lui portait. Autant ressentait-il une certaine sympathie pour Hendrix, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver la même chose pour Billie. Selon les apparences, on ne voyait que deux jeunes gens qui s’aimaient et qui devraient être ensemble, mais ce n'était pas aussi simple semblait-il. Hendrix avait ses problèmes. Des problèmes qu’il ne voulait pas régler. Il avait essayé, lui avait-il confié, mais sans succès. Il aimait alors tellement cette fille qu’il était prêt à la laisser partir pour éviter qu’elle ne souffre davantage par sa faute. « Je vois… » se contenta de répondre Ben. Il n’était pas là pour juger les choix de son frère de confrérie. Il respectait d’ailleurs ses derniers. Néanmoins, bien que O’Connell ne se considérait pas comme le plus romantique d’entre tous, il trouvait tout de même que c’était du gâchis. « Tu prends beaucoup de décisions comme ça ? Je veux dire… basées sur des suppositions? » Hendrix était persuadé que Billie allait souffrir par sa faute. Cependant, les couples ne souffraient-il pas à un moment ou à un autre de toute façon? Ça faisait partie du contrat, à un moment ou à un autre. Certes, la drogue était la problématique principale et accepter la dépendance de la personne qu’on aime n’était pas donner à tout le monde. Benjamin pouvait se mettre à la place des deux parties. Du moins, il pouvait essayer. « Mais bon, je comprends… » Il soupira, puis sourit. « L’amour, j’te dis, c’est bien la plus belle connerie que je connaisse. Et à se que j'comprends, va te falloir plus que de la bière aussi. »

Il était content de ne pas avoir à vivre avec les mêmes problèmes de cœur que son ami Hendrix. Ben avait réglé le problème assez drastiquement, d’ailleurs. Il ne s’attachait plus à quiconque du sexe opposé; ça évitait bien des maux de tête et des cœurs brisés. Il se plaisait mieux ainsi, à accumuler des relations sans lendemain et où aucun des deux parties n’avait besoin d’expliquer son départ le lendemain. Néanmoins, il comprenait la peine de son ami. Il avait déjà eu des relations où il s’était cru amoureux et ça n’avait jamais bien fini. Il n’avait jamais été doué pour s’impliquer dans une relation… Hendrix, au moins, il semblait déjà mieux réussir que lui. Et ça malgré la situation avec Billie. Après tout, la raison de sa présence ici, dans cette état, c'était justement parce qu'il l'aimait. « Promis, prochaine fois je t’assomme. » Il rendit le sourire à son ami, acquiesçant à sa demande de ne plus jamais retomber amoureux. « Pour réparer le cœur d’un Chapin, rien de mieux que les méthodes Chapin! » Il fit un signe à la serveuse qui vînt les voir à leur table. Toujours avec un sourire, faisant du charme à la serveuse, Benjamin commanda une bouteille. Elle revînt avec la commande, soit la bouteille, une sellière, des quartiers de lime et deux petits verres. O’Connel la remercia et paya directement, laissant un bon pourboire avant de regarder Hendrix, complice. « Je te présente mon amie Tequila. » dit-il, plaçant un verre devant son ami et lui. « Quand t’as des problèmes, Tequi est là pour te faire oublier. Et avec un pote, ça passe mieux. » Ben lui sourit et remplit les verres. Un quartier de lime pour chacun, un peu de sel sur le dessus de la main. « Aux amis! » Il leva son verre, déposa a bouche sur sa main où reposait le sel puis bu cul sec. Il termina avec le quartier de lime pour couper le goût l’alcool fort. Puis, il servit une seconde tournée.

Les Chapin avaient effectivement les meilleures solutions à tous les maux. Du moins, pour leurs maux à eux. C’était à coup de sport, de fête et d’alcool qu’ils parvenaient à oublier et à se remettre sur pied. Bien que ce ne soit pas toujours simple, ça aidait le moment que ça durait. Avec leurs frères, pour la plupart soudés, il était d’ailleurs plus facile de se changer les idées ensemble. D’ailleurs, Benjamin n’avait pas douté ne serait qu’un instant que d’inviter son amie Tequila à leur table soit une mauvaise idée. Ils allaient peut-être avoir la pire gueule de bois le lendemain, mais cela en valait le coup. Ben ne pouvait pas abandonner son ami dans sa situation. Il avait besoin de réconfort et surtout, de ne plus penser à Billie. La blessure était beaucoup trop vive pour le moment. Ben sourit. « Qui ne l’aime pas, dis-moi ? » Il rit. En effet, il se souvenait avoir bu lui aussi une bouteille de tequila suite à sa rupture avec Billie. Néanmoins, lui, s’était différent… Il n’avait pas été « amoureux », si l’on pouvait le dire ainsi. Il s’était attaché, mais il avait réalisé qu’elle n’était qu’une amie pour lui. Heureusement, les deux parties en était venue à la même conclusion au même moment. C’était d’ailleurs ce qui expliquait pourquoi ils étaient toujours en bons termes aujourd’hui et qu’il n’y avait rien de plus entre les deux. À la question d’Hendrix, Benjamin sourit davantage, mais préféra boire cul sec le deuxième verre de tequila avant de répondre. Il haussa les épaules. Que pouvait-il bien répondre à son ami ? Déjà, lui dire qu’il sortait ici et là avec des filles différentes sans que ce ne soit sérieux puis qu’il se tapait sa cousine en plus, c’était un peu périlleux. « Pas grand-chose… » Il se servie à nouveau, puis répéta la même opération. L’alcool lui faisait tout d’un coup un bien fou à lui aussi. « Y  a cette fille… mais y à rien de sérieux… enfin, je crois. Je ne sais pas… » Il ne savait pas quoi dire. Il ne savait même pas pourquoi il en parlait.